Jim Morrison, chanteur et poète, a apporté au rock une dramaturgie puissante et inédite, portée par un charisme et une sensualité qu’on croyait réservés jusqu’alors au seul Elvis Presley.
Nietzsche, RImbaud, et Coppola
En juillet 1965, deux étudiants en cinéma à l’Université de Californie, que fréquente alors un certain Francis Ford Coppola, fument des joints sur Venice Beach, près de Los Angeles. L’un, chanteur occasionnel, grand lecteur de Nietzsche et poète à ses heures, se lance et récite à son pote quelques vers d’inspiration rimbaldienne qu’il a composés : Let’s swim to the moon, let’s climb through the tide, penetrate the evening that the city sleeps to hide. C’est selon la légende tout ce qu’il faut à l’organiste Ray Manzarek pour être conquis par les talents de parolier de Jim Morrison. Le guitariste Robbie Krieger, amateur de flamenco aux fortes influences classiques, et le batteur John Densmore, beatnik à la culture musicale plutôt jazzy, se rallient bientôt aux deux étudiants, et l’aventure peut commencer.
Break on through, premier album des Doors
Dès leurs premiers concerts, les Doors se font un petit succès local accompagné d’un parfum de scandale, Morrison cachant sa timidité sous un jeu de scène agressif et provocateur.
Signés par la maison de disque Elektra, les Doors enregistrent en 1966 un premier album étonnant en tous points : les compositions sont superbes avec le clavier Fender Rhodes de Manzarek qui assure la basse et la guitare de Robbie Krieger qui distille un jeu coloré et précis, mais c’est bien Morrison, dont la voix puissante et confiante déclame une poésie baroque sur fond rock qui, crooner sous acide, s’y révèle comme un Sinatra psychédélique.
S’ouvrant sur le titre-manifeste Break on through, aux références chimiques censurées, l’album se fait aussi connaître par son titre Light my fire, aux paroles exceptionnellement signées par le guitariste. Son riff de claviers jazzy, son solo de guitare céleste et son refrain accrocheur peinent toutefois à faire oublier la pièce maîtresse du disque, The end, morceau fleuve aux ambiances de raga indien parcouru des images hallucinatoires de Morrison qui culminent dans un passage parricide et oedipien qui fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le rock. Le titre sera repris douze ans plus tard par Coppola lui-même dans la séquence d’ouverture de son film Apocalypse now.
Sur scène, Morrison déploie totalement son personnage. En pantalon de cuir noir, accroché au micro, feignant convulsions et évanouissements, il imprime aux performances des Doors une dimension théâtrale, aux visées cathartiques et à l’érotisme latent, qui ont l’ambition de faire des concerts du groupe de véritables cérémonies mystiques, inspirées des rituels des chamans. Sur le modèle de ces sorciers indiens qui s’ouvrent à de nouvelles réalités par la consommation de boutons de peyotl, un cactus mexicain, Morrison ne fait pas mystère de son attrait pour les drogues. Le chanteur apparait alors sur une célèbre photo dans une posé christique, morbide et érotique.
Le deuxième album du groupe, Strange days, présente des compositions toujours traversées de la poésie nihiliste et séditieuse de Morrison.
L’album Waiting for the sun est dans une veine identique, tout comme l’album The soft parade, qui accueille de nouvelles sonorités marquées par la soul et le jazz, mais qui déconcerte les fans du groupe.
Crépuscule de l’idole
Morrison, lui, commence à sentir le poids des années et se réfugie dans l’alcool et les drogues, s’autoparodie sur scène et multiplie les coups d’éclat. En mars 1969, le chanteur passablement éméché apostrophe les 7000 spectateurs de l’auditorium de Miami et, moquant la condition de star, exhibe son sexe. L’incident précipite la chute de l’idole, arrêtée par la police puis désormais engagée dans des batailles légales. La tournée américaine du groupe est annulée : Morrison, soulagé, peut enfin échapper à son propre mythe.
Deux ans plus tard, le 3 juillet 1971, Morrison en exil à Paris est retrouvé mort dans sa baignoire. Les Doors ne survivront pas à la mort de leur chanteur.